dimanche 23 janvier 2011

Les Pixies, lutins rockeurs de Boston

Rendus célèbres par la chanson « Where Is My Mind? » dans la BO de Fight Club (la fameuse scène finale où tout explose alors que Edward Norton et Helena Bonham Carter sont côte à côte), c’est malheureusement souvent tout ce que le néophyte connait de ce groupe génial. Rendons donc à César ce qui lui appartient et replaçons les choses dans leur contexte.

Les Pixies peuvent se targuer de faire office de figure de proue du rock alternatif. Leur formation en 1986, dans des années souvent considérées comme stériles, avec un rock qui se cherche après la fin du punk, semble relever d’une erreur temporelle. Certes, la décennie contient son lot d’artistes qui en valent le détour (INXS, Sonic Youth, REM, Violent Femmes, Gang of Four, Mudhoney, The Fall, Orange Juice…). Mais combien peuvent prétendre à une influence comparable à celle des Pixies ?

Cette fascination n’a peut-être d’égale que l’invraisemblance de leur rencontre, enchevêtrement improbable des fils du destin. Charles Thompson IV, alias Black Francis (chanteur principal) rencontre d’abord Joey Santiago (futur guitariste) avec qui il partage une chambre à l’université. Une amitié se développe entre ces deux passionnés de musique, qui décident un peu plus tard de former un groupe de rock. Ils passent alors une annonce dans un journal pour trouver une bassiste, et Kim Deal se présente à leur porte. La demoiselle en question ne sait pas jouer de la basse : tant pis, on ne s’arrêtera pas à ce petit détail. Peut-être parce que sa fougue est visible, et son caractère bien trempé. Ou alors parce qu’elle est la seule à avoir donné suite à leur annonce (il faut dire aussi qu’ « une bassiste qui aimait à la fois le trio de folk Peter, Paul and Mary et le groupe Hüsker Dü », ça ne court pas forcément les rues). Ne manque alors plus qu’un batteur et un nom. Pour le premier, coup de chance, Kim se souvient avoir croisé quelqu’un à un mariage : ce sera David Lovering. Pour le second, la consultation d’un dictionnaire fera l’affaire.

Après quelques répétitions dans le garage de David, la nouvelle formation sort un bon premier EP, Come On Pilgrim, en 1987. « Caribou » érige Francis Black comme maître dans sa discipline, capable aussi bien d’une voix apaisée de fausset que d’un timbre rageur et mordant. « Nimrod’s Son » illustre son obsession jamais démentie pour les thèmes bibliques, tandis que « The Holiday Song » aborde l’onanisme.

En 1988, une bombe rock détonne dans un paysage désolé. C’est Surfer Rosa, le premier album des Pixies, qui leur conférera une reconnaissance éternelle. Non content de bénéficier du rare talent de son chanteur, il doit aussi une grande partie de son succès à sa synergie avec Kim, pas tant pour son jeu de basse (par ailleurs en nette amélioration), que pour sa voix utilisée en complément de Black, établissant une atmosphère électrisante, comme sur « River Euphrates ». C’est aussi elle qui écrit et chante « Gigantic », morceau plébiscité par les foules, une sorte d’alter-ego à « Where Is My Mind? », écrite et chantée par Black. Evoquons encore « Something Against You », pleine d’une rage autant instrumentale que vocale dans un style assez hardcore, « Oh My Golly! », qui illustre la fougue indomptable du batteur, ou encore le joyeux « Vamos » chanté en espagnol.
Ce qui ressort surtout de Surfer Rosa, c’est l’alternance entre des couplets calmes et des refrains débridés, style peu ou pas exploité à l’époque dont on leur reconnait la paternité, et qui va devenir la marque de fabrique du groupe.

Mais la bande de lutins ne s’arrête pas là, et sort l’année suivante Doolittle, qui, aux côtés de Surfer Rosa, se dispute généralement la première place dans le cœur des fans des Pixies. Alors qu’avec le premier, on était dans un style assez sale et brut, le second est beaucoup plus propre, conséquence d’un changement de producteur, et d’une hausse de budget. Bien qu’adepte du lo-fi, ma préférence va quand même à Doolittle, qui regorge de merveilles insoupçonnées.
« Debaser » introduit l’album en opposant la hargne de Black à la douceur des contre-chants de Kim. « Wave of Mutilation » est pleine d’un charme insaisissable, et véhicule une émotion presque palpable. Ce thème de la souffrance, souvent exploitée par Black, se retrouve aussi dans « I Bleed ». Pépite pop très dansante au refrain prenant, « Here Comes Your Man » en est aux antipodes. « Dead » joue sur de brusques changement de rythme, et « Monkey Gone To Heaven », autre morceau très connu des Pixies, parle de la destruction du monde par l’homme. Encore plus que dans Surfer Rosa, tout est bien fait et bien construit dans cet album, et des morceaux comme « There Goes My Gun » l’attestent. Il se conclut avec « Silver », émouvant duo entre Black et Kim, et « Gouge Away », bel exemple du génie rebelle du groupe.

Tout semble aller pour le mieux, mais des tensions apparaissent entre Francis et Kim. Le premier est assez méthodique et sérieux, tandis que la seconde est en proie à des problèmes de drogue et d’alcool. Pour certains concerts, elle arrive en retard, pour d’autres, elle ne tient plus debout. Les Pixies annoncent logiquement une pause, au cours de laquelle chacun va vaquer à ses occupations. Kim renouera alors avec son groupe d’enfance, les Breeders (qui comprend notamment une membre des Throwing Muses), pour sortir un premier album, Pod.

Après ce break, le groupe se retrouve pour un nouvel opus en 1990, Bossanova. Conséquence des frasques de Kim, il mettra cette fois-ci bien plus en avant la personne de Black, auteur et chanteur principal de toutes les chansons. Si sa présence en contrepoint de celle de Kim se fait parfois regretter, cela ne suffit pas à nuire à la qualité de l’ensemble, qui, malgré toutes ces tensions, reste d’excellente facture.
Evolution principale : les chansons bestiales qui caractérisaient Surfer Rosa et Doolittle sont ici quasi absentes, sauf pour « Rock Music » et ses paroles incompréhensibles (« Your Mouth's A Mile Away »). Mais le groupe en profite pour concocter des mélodies et des riffs géniaux, comme sur « Ana » et sa ligne de guitare ensorcelante. La basse fait un travail formidable sur « Is She Weird », et la batterie donne tout son panache à « Down to the Well ». « The Happening » est soufflante : la tension aérienne semble ne jamais vouloir s’arrêter, mais elle est soudain rompue lorsque Black change de ton (mais comment fait-il ?) pour prononcer « … beneath the sky ». Evoquons encore « Hang Wire », alternance réussie entre rage et accalmie dans le chant de Black et « Havalina », qui conclut Bossanova de façon très mélodieuse.

Avec la tournée qui s’ensuit, les tensions entre Kim et Black subsistent. On parle même d’une séparation prochaine du groupe. C’était sans compter la production, qui, pour le meilleur ou pour le pire, parvint à les convaincre de travailler une dernière fois ensemble. On aurait pu craindre qu’il s’agisse là du fameux album de trop, qui confirme la mort de l’inspiration d’un groupe. Et pourtant, sous leur chapeaux pointus, nos lutins dissimulaient encore quelques surprises. Des rumeurs soutenaient que le style musical des Pixies avait évolué vers du heavy metal. Si elles furent vite infirmées à la sortie de Trompe Le Monde en 1991, certains titres n’en demeurent pas moins marqués par un son violent. La rage présente dans Surfer Rosa refait surface, comme dans « Planet of Sound ». Le titre éponyme de l’album explore un peu toutes les directions, et mise sur des effets d’éloignement des guitares et de réverb pour opérer une séduction efficace. « Alec Eiffel » est un hommage réussi à la fameuse tour parisienne, qui a toujours fasciné Black, tandis que « Head On » est une reprise dynamique de The Jesus and Mary Chain. « Letter to Memphis » est une des rares chansons d’amour (avec « La La Love You ») composées par les Pixies. Le festival continue avec « Bird Dream of the Olympus Mons », qui se distingue par des sonorités inquiétantes presque imperceptibles en arrière plan. « Motorway to Roswell » constitue une belle chanson pop et « The Navajo Know » se nappe d’une atmosphère riche et décomplexée, qui sonne tristement la fin de l’album…

L’influence des Pixies trouvera un écho chez de nombreux musiciens, au premier rang desquels on trouve Kurt Cobain, grand admirateur de Surfer Rosa et qui reconnait volontiers que son « Smells Like Teen Spirit » n’aurait jamais vu le jour sans eux. A ce propos David Bowie dira d’ailleurs : « J’ai été très déçu le jour où j’ai appris que les Pixies se séparaient. Quel gâchis… Je les imaginais déjà conquerir le monde. Quand j’ai entendu Nevermind de Nirvana pour la première fois, j’ai été très en colère. Les dynamiques des morceaux, c’était une razzia totale des Pixies. J’aurais tellement aimé voir les Pixies et Sonic Youth au sommet. » S’il faut encore donner un nom, citons par exemple Damon Albarn, qui reconnaît qu’il voulait sonner comme les Pixies aux débuts de Blur.

Avec la séparation des Pixies, c’est donc la fin d’une légende. Enfin, presque. D’une part, parce que les membres vont se reformer pour des concerts de temps en temps. D’autre part parce qu’ils continuent à exprimer leur talent dans des projets solos.
Black Francis entame une carrière réussie sous le pseudonyme de Frank Black, écoutez par exemple « You Ain’t Me » ou « Headache ». Kim Deal continuera quant à elle l’aventure qu’elle avait entamée avec les Breeders, et sortira notamment en 1993 l’album à succès Last Splash, qui contient les morceaux « Cannonball » et « Divine Hammer ». A ce jour, elle y officie encore.

La perspective d’un nouvel album des Pixies n’est aujourd’hui pas à l’ordre du jour. Pourtant, Kim et Charles n’ont jamais perdu l’envie de faire de la musique. Les Pixies ont fait beaucoup de belles choses, et elles ne l’ont jamais été autant que quand ces deux-là parvenaient à s’entendre. On aurait aimé voir cette synergie œuvrer à nouveau, pour une dernière merveille...


Franck A.

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