lundi 10 janvier 2011

Bienvenue au Gun Club


Dans un article de 1982, Lester Bangs crucifiait lapidairement le Gun Club : « A dull attempt to punk robert johnson blues ». Ben là, une fois n’est pas coutume, il avait tout faux. Parce que s’il y avait un tant soit peu de logique, le Gun Club serait aussi reconnu que, au hasard, les Stooges ou les Clash.

Il ya toujours eu des rénovateurs du blues : tout ce qu’on a appelé le british blues boom à partir de 63, Captain beefheart, Canned heat, les frères Allman, ensuite dans les années 80 le Gun club, Stevie Ray Vaughan, Nick Cave, plus tard les Spencer Blues, et finalement les White Stripes. Mais il existe différentes manières de le concevoir; musique suggestive au départ, spartiate, toute de tension, le blues en est venu par l’intermédiaire des Clapton, Allman Brothers et d’autres à n’être qu’une excuse à des démonstrations de bravoure guitaristique ; Cream, par exemple, groupe génial lorsqu’il s’en éloignait (« White room », «Tales of brave Ulysses») était le plus souvent calamiteux lorsqu’il donnait dans le blues « authentique » (ainsi cette version châtrée du "Spoonful" du grand Howlin Wolf dans "Fresh cream"). Rien de tout ça chez le Gun club.

Lorsqu’il sort en 1981, "Fire of love" a du arriver comme un miracle. Car à l’époque, c’est vraiment pas la joie; Dylan fait son rock chrétien, Neil Young fait de la techno (…), la musique noire est à peu près morte (à l’exception notable de Prince et de Chic) et on voit arriver ces sons de batterie bouffie (batterie, c’est beaucoup dire en fait puisqu’on n’entend plus que la caisse claire), ces basses débiles et ces claviers dégueulasses partout. Ah et puis des solos de saxo qui aujourd’hui font rire. De toutes ces icônes des années précédentes, Il n’y a guère que le bon Bruce et Tom Waits qui n’aient pas l’air à côté de leurs pompes. On imagine le soulagement de tous les gens éprouvés par cette débandade générale lorsque débarque le Gun Club, qui tout bien considéré, est LE grand groupe de l’époque (Qui d’autre sinon ?).

Au moment où les Cramps, à qui Jeffrey Lee Pierce dédicacera « For the love of ivy », dégainent une version dégénérée du rockabilly (même si j’ai toujours trouvé les Cramps au mieux amusants et ça s’arrêtait là), le Gun Club revient au blues ancestral, qu’il mêle à l’urgence violente du punk, inventant quelque chose de totalement nouveau.
Les deux premiers albums ( « Fire of love », et « Miami »), sont vraiment infernaux, plein de blues désaxé, sexy, furieux, excessif, le tout dominé par la voix de Pierce, incroyable, pas belle pour un sou, criarde, vitupérante, géniale. On dirait un Tom Verlaine méchant. Même les pochettes sont mythiques. La production, qui ruinait les trois quarts des albums de l’époque, est ici impeccable. Le son est ludique, les slides de guitare ultra chiches, la section rythmique, rectiligne et tendue. Et les titres d’anthologie s’enchainent les uns aux autres, que ce soit les reprises judicieuses de Tommy Johnson, de Leadbelly ("John hardy"), de Robert Johnson (« Preachin the blues »), de Creedence dont le rock swampy a manifestement traumatisé Pierce, ou les propres compos de ce dernier, naviguant entre l’obscénité réjouissante de « Jack on fire » et les incantations envapées de « She’s like heroin to me » ou de « Watermelon man », n’oubliant pas au passage de récurer la mythologie blues (« Ghost on the highway », « Devil in the woods »).

Et lorsqu’il se livre à quelques morrisonneries (c’est de moi. C’est mauvais mais c’est de moi), c’est grandiose (« Fire of love », la gigantesque « Mother of earth » et ces hululements de guitare slide, « Brother and sister »). D’ailleurs Jeffrey Lee Pierce partageait également avec Morisson un goût pour les « comportements erratiques », euphémisme un peu bigot, voulant dire qu’il arrivait ivre sur scène. Et que comme Morisson dans ses meilleurs jours (c'est-à-dire lorsqu’il était très saoul et très drôle), il se laissait aller à d’interminables soliloques d’ivrogne, dans lesquels le plus souvent il injuriait le public. J’aurais aimé voir ça.

Arrive ensuite « The Las Vegas story» dont certains préfèrent la production plus étoffée et plus propre que sur les deux précédents. Au final, ça n’importe pas tellement, les compositions sont toujours aussi renversantes (le stoogien "stranger in our town", l’acoustique "secret fires", "my dreams", "give up the sun"…) et les reprises (une version hanté du « My man’s gone now » de Gershwin, « The masterplan » du jazzman free Pharoah Sanders) traduisent toujours une connaissance de la musique assez monumentale. A partir de là, la vie de Pierce devient un grand n’importe quoi, entre changements de personnel, hépatites, et addictions diverses, ce qui gangrènera sa …« carrière ».

Je n’ai pas encore écouté les albums suivants mais ce sont parait-il les trois premiers qu’il faut avoir (Je viens de choper "Miami" et "Las vegas story" ; ça faisait longtemps que j’avais pas été aussi content d’acheter un cd). J’écouterais les autres et j’en parlerai si ça vaut le coup. Plus tard, les Jon Spencer Blues (dont plusieurs albums ont été réédités il y a peu) et les Whites Stripes n’oublieront pas de rendre hommage à ces prédécesseurs auxquels ils doivent tant. Même si Jack White parait bien sain en regard du fou qu’était Jeffrey Lee Pierce.


Vianney G.

1 commentaire:

  1. pour info, un bouquin vient de sortir sur le Gun Club :

    "Jeffrey Lee Pierce", de Marc Sastre
    éditions Les Fondeurs De Briques
    http://fondeursdebriques.perso.neuf.fr/argu-jeffrey.html

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