jeudi 30 décembre 2010

"L'Odyssée de la soul" : entretien avec Florent Mazzoleni


On en attendait un, le voici : le « sweet soul music » français, ça s’appelle « l’odyssée de la soul » et c’est signé Florent Mazzoleni. Ce livre, qu’il a pensé comme un almanach de la Soul, retrace donc l’histoire de ce mouvement des premiers instigateurs du genre (Sam Cooke, Ray Charles) à nos jours. Sans pouvoir prétendre à l’exhaustivité (parce que là il faudrait une encyclopédie en 10 volumes), ce livre pédagogique est très complet, et passe en revue tous les genres et toutes les écoles. Nul besoin d’être un spécialiste pour y trouver son bonheur, il requiert juste une bonne dose de curiosité et d’appétit musical. De quoi dépenser intelligemment ses étrennes.

Journaliste émérite entre autres aux Inrocks, à Tecknikart, ou à Géo, photographe, ami d’Alex Chilton, bordelais de cœur, grand voyageur, Florent Mazzoleni est l’un des tout meilleurs connaisseurs français du genre, déjà auteur d’un « Motown, soul et Glamour », et de « James Brown, l’Amérique noire, la soul et le funk ». Rencontre.

NB : ayant eu les questions avant, il répond parfois à plusieurs en une seule réponse.

Ce dont on se rend compte en lisant ce livre, c’est l’influence souterraine mais cruciale des Ragovoy, des Whitfield, des Holland-Dozier-Holland etc, c'est-à-dire tous les producteurs de ces albums des années 60-70 (et qui souvent même composaient les titres) . Ne sont ils pas plus responsables du son de la soul de ces années là que les artistes eux-mêmes ?

Vous isolez plusieurs « écoles » de soul dans ce livre. Tout le monde connait celle de Detroit (Motown), Memphis (Stax et Hi) et Philadelphie (Philly sound). Pouvez vous nous parler plus spécifiquement des deux écoles les moins connues, celle de Chicago (une ville plus connue pour ses artistes blues) et celle de La Nouvelle-Orléans ?

Il y a une chose qu’il ne faut pas oublier. D’accord, on parle de producteur en matière de musique, mais la soul sans les artistes, ça n’existe pas. La soul, c’est une histoire de voix avant tout ; c’est le chant de l’âme. C’est que répondait Solomon Burke à son producteur Jerry Wexler lorsque celui-ci lui demandait ce qu’il voulait chanter : « je veux chanter avec mon âme ». On est vraiment dans l’idée d’affirmation de soi, dans la recherche d’une expression personnelle. Ensuite, les producteurs vont donner un écrin à cette voix. Ainsi Norman Whitfield chez Motown à la fin des années 1960 va fabriquer des tubes au kilomètre et lancer bien des carrières. Mais effectivement si un chanteur n’a pas une conception solide, ça ne donne pas grand-chose. Il faut des fondements solides. Il faut une vision artistique derrière. Il faut aussi pouvoir vendre, c’est ce que faisaient des gens comme Jerry Wexler chez Atlantic. Ce n’était pas vraiment un producteur à proprement parler. Chez certains labels, il y avait un pôle entier consacré aux producteurs. Par exemple, chez Stax, certains disques étaient produits par le duo Hayes/Porter, d’autres par Booker T. Jones, d’autres par Jim Stewart. Après, il restait à promouvoir et à vendre la musique.

C’est tout le problème d’un Ragovoy qui a produit certains disques comptant parmi les plus beaux du genre. Ses disques n’avaient pas le même succès que ceux d’Atlantic ou de Motown, parce qu’il n’y avait pas la même puissance marketing derrière. Pourtant, les enregistrements d’Howard Tate ou ceux de Garnett Mimms, produits par Ragovoy, comptent parmi les plus belles chansons soul jamais enregistrées. Et le "Stay With Me" de Lorraine Ellison, marque un sommet de soul orchestrée.

Même chose pour un producteur comme Allen Toussaint qui définit tout au long des sixties le son de La Nouvelle-Orléans. Il écrivait les morceaux, jouait lui-même du piano…Il était indispensable. Il n’y a pas un artiste soul de La Nouvelle-Orléans qui n’ait pas enregistré avec lui, que ce soit The Meters, Lee Dorsey ou Irma Thomas… Il est derrière Betty Harris également. C’est vraiment lui qui a défini le son de cette ville.

Lorsqu’on pense à la soul de Chicago, il est impossible de ne pas parler de Curtis Mayfield. Il y avait quatre labels principaux de soul à Chicago (Okeh, Vee Jay, Chess, Brunswick…) mais il n’était pas rare qu’on le retrouve à la production de tous ces labels. Ainsi on retrouve la griffe caractéristique des productions Mayfield (en collaboration avec Johnny Pate) sur les premiers Major Lance, ou derrière Gene Chandler. Ce qu’a notamment introduit Mayfield, c’est le son latin avec l’introduction de percussions afro-cubaines. Au même moment, Chess, illustre label de blues, s’est aussi offert quelques digressions soul, suivant la volonté des frères Chess, par exemple en envoyant Etta James enregistrer à Muscle Shoals, en produisant Jackie Ross, Johnny « Guitar » Watson, Fontella Bass ou Laura Lee…Mais à mon sens, la plus grande chanteuse soul de Chicago s’appelle Mitty Collier. Elle possède une voix prodigieuse. Elle a sorti un album remarquable qui définit le son de Chicago à merveille.

Vous avez fait la préface du livre de Philippe Robert, « Great black Music ». Vous y définissiez la grande musique noire comme « un poing levé », comme « un relais de diffusion vindicatif de vibrations inédites », en écho à des artistes comme James Brown («Say It Loud»), Sly Stone («Don’t Call Me Nigger Whitey »), Curtis Mayfield, Gil Scott Heron... Que le contexte aujourd’hui pour les noirs d’Amérique soit plus clément explique-t-il une certaine déliquescence de la soul et du funk pendant les années 80-90?

Ces années sont des années de transition , au cours desquelles on a laissé disparaitre les grands orchestres de soul. Il s’est passé la même chose avec le jazz dans les années 1940, avec l’arrivée de l’amplification. Les grands orchestres type Duke Ellington laissaient la place à des combos plus restreints, plus explosifs. Ainsi en soul, ces grands orchestres (Parliament, Kool & The Gang, Earth Wind & Fire) ont fini par décliner car on n’avait tout simplement plus les moyens économiques d d’entretenir dix, quinze ou vingt musiciens ! Dans les années 1970, il faut savoir que James Brown tournait avec trois batteurs sur scène ! Qui dans les années 80 pouvait se payer ce luxe ? Seul Prince a parfaitement compris l’usage des studios et compris qu’il pouvait réaliser ses albums quasiment seul. On peut aussi déplorer malheureusement dans ces années une panne de vision artistique de la part des producteurs. On peut facilement orienter le goût du public et il est devenu probablement moins exigeant au cours des années.

Mais depuis une dizaine d’année, il y a effectivement un renouveau dont la figure de proue pourrait être Erykah Badu, la grande diva soul moderne. Avec elle, on a redécouvert les vertus de l’orgue Hammond et une certaine patine, ce genre de choses. Mais également en hip-hop, des artistes comme The Roots renoue avec l’esprit des productions années 60-70 après deux décennies où, pour des raisons économiques, cet esprit avait disparu. Beaucoup d’artistes ont compris la valeur du jeu «à l’ancienne » avec des riffs de cuivres, des choristes, et ce jeu d’appels et de réponse hérité du gospel. Il ne faut pas oublier que la soul vient du rhythm’n’blues mais plus encore du gospel . A mon avis cette dégénérescence de la soul provient d’un déclin de cette pratique du gospel. Dans les années 60-70 tout le monde avait commencé par apprendre à chanter des spirituals à l’Eglise. A l’inverse, les vedette des années 80-90 n’ont pas eu cette expérience gospel (exception faite de Whitney Houston, qui a connu cet apprentissage qui fait la différence justement, même si ce n’est pas ma tasse de thé).

Au niveau des artiste soul récents, que pensez-vous de Daptone Records ?

Daptone est un label assez astucieux qui a compris les vertus du retour à l’organique… A mon avis, il n’est pas étonnant que Sharon Jones, ou Lee Fields percent aujourd’hui car ils ont l’expérience des années de l’âge d’or, ils ont croisé des artistes importants, ça leur a donné une identité particulière. A mon avis Daptone Records est le label de musique noire le plus important de ces 10,12 dernières années.

Plus généralement, où est la soul aujourd’hui ? Dans le R’N’B ? Dans le revival ? C’est assez dur à définir en fait. A mon sens, Janelle Monae va beaucoup faire dans les années à venir pour le milieu de la soul. Son énergie est assez proche d’un groupe comme Outkast. Tous ces artistes essaient de retrouver des vertus d’authenticité. Ils font tout pour jouer avec de vrais musiciens sur scène, de vrais instruments dans un studio, bref des éléments organiques. Même le hip hop, lorsqu’il s’est essoufflé a fini par redécouvrir les vertus de la soul. Ils ont compris que cette manière de pratiquer conférait une patine différente à leurs enregistrements. Une sorte de « vérité naturelle », pour reprendre les mots de Ray Charles.

Mais vous parliez de Seal. On le voit, la musique soul peut être aussi consumériste qu’une autre. Même si pour Phil Collins, je suis tout à fait clément à son égard. Ce qu’il a fait dans les années 70 avec Brian Eno, notamment ses parties de batterie sur « Another Green World », c’est sérieux. Il reste un vrai musicien. En revanche, ses reprises des standards Motown, c’est une catastrophe. Il ne fait que vendre de la bouillie indigeste à ses consommateurs : c’est de la musique au kilomètre. Les gens achètent ça au supermarché entre les céréales et deux paquets de pâtes. Le fait qu’il puisse massacrer la musique qu’il aime avec autant de conscience mériterait une punition sévère. Mais le succès de Seal ou de Phil Collins est une réalité économique. Seal, vous avez deviné que je n’en suis pas malade, mais s‘il peut amener même quelque personnes à redécouvrir les chansons originales, s’il peut être un passeur, pourquoi pas.

Dans ce livre, vous parlez bien entendu des sommités de la soul (James Brown, Al Green, Marvin Gaye…)…Mais ce qui m’a passionné personnellement, c’était de découvrir des inconnus, qui s’avèrent parfois au niveau des légendes. Quelles sont disons les dix raretés (albums ou artistes) à découvrir en priorité ?

Celui que je citerais en premier, c’est Garnet Mimms, avec ou sans les Enchanters. Son premier album de 1963, « Cry Baby » : un sommet de la soul des années 60’s. Ecoutez "Baby, Don’t You Weep", une reprise du gospel "Mary, Don’t You Weep". On comprend aisément comment la soul est passée du gospel aux histoires de trahison amoureuse (les cheatin songs). Le chant de Garnet Mimms et la production de Jerry Ragovoy sont limpides. Il s’agit de l’une des voix les plus bouleversantes qu’il m’ait été donné d’entendre.

Lee Dorsey a lui inspiré le fameux « Yes We Can » d’Obama, avec cette voix élastique et nonchalante, typique du son de la de La Nouvelle-Orléans. Cet album de 1970 est produit de manière inévitable par Allen Toussaint. Son premier album, « Ya Ya » oaru en 1962 est aussi un formidable recueil de comptines très early soul, limite rhythmn and blues.

Dans la soul sudiste, il y a Geater Davis, un chanteur à la voix très rauque, qui œuvre dans la voie de ce que Bobby ‘Blue’ Band avait entrepris avant lui . Ensuite, deux de mes marottes, O.V. Wright et sa voix extraordinaire qui peut descendre très bas et monter très haut en une fraction de seconde, avec ce profond héritage du gospel. James Carr lui, était un des chantres de la country soul, pour le compte du label Goldwax, notamment avec ce classique absolu, "(At The) Dark End of the Street". Il faut parler aussi d’Eddie Hinton chanteur blanc qui a commencé en jouant de la guitare avec Bobby Womack ou Candi Staton…Il est l’auteur d’un album magnifique paru en 1978 : « Very Extremely Dangerous », il faut l’écouter, c’est l’un des meilleurs disques de soul blanche.

Sinon quoi d’autre ? L’album de 1966 de Jimmy Hughes, « Why Not Tonight », qui est l’épitomé du son Muscle Shoals première période, juste après Arthur Alexander, c'est-à-dire après que la country soul ait été définie. Il y a aussi Ollie & The Nightingales, qui témoigne bien de la puissance expressive des groupes qui ont fait leurs armes dans le gospel. Certaines choses qu’ils ont enregistré comme "I Got A Sure Thing" sont justes hallucinantes. C’est vraiment extrêmement poignant.

Je pense aussi à l’album de Lightnin’ Rod, «Hustler’s Convention ». Là on est vraiment dans les tout débuts du hip hop, avec une voix parlée sur des rythmes très funk, l’album est assez remarquable mais malheureusement pas très connu. Du côté des perles oubliés, il y a le « Jealous Kind of Fellow » de Garland Green, dans le registre soul de Chicago, c’est excellent.

Il y a aussi les Soul Children. Leurs quatre albums sont époustouflants. Les gens devraient les redécouvrir. Voilà quelques pistes, ça peut changer selon mon humeur du moment.

Et chez les femmes ?

Je pense naturellement à Helene Smith, une chanteuse qui a sorti un seul album méconnu en 1966 sur une petite marque de Floride. On peut dire que la soul au féminin atteint son apogée avec ce premier album, aujourd’hui malheureusement introuvable. Je ne suis même pas sûr d’en parler dans le livre…

Concernant le funk, l’album d’Yvonne Fair produit par Whitfield (« The Bitch Is Black ») est l’un des meilleurs albums de funk au féminin. On parlait d’Erykah Badu, regardez la pochette de l’unique album d’Ella Washington en 1969. On voit qu’elle lui a empruntés les mêmes postures de méditation. Je pense aussi à Doris Duke, notamment album « I’m A Loser ». On y trouve beaucoup de bonnes chansons produites par Swamp Dogg.

La soul est un genre qui se prête beaucoup aux compils. Certaines sont très reconnues (les « Shaolin Soul » du rappeur du Wu Tang, RZA), mais globalement il est difficile de s’y retrouver. Si vous deviez en conseiller deux, ou trois, quelles seraient elles ?

En France, les compilations « rhythm’n’blues remarquable », « rhythm’n’blues terrible »…Il doit exister une vingtaine de volumes sortis entre 1965 et 1972 de bonne facture. Les compilations Shaolin Soul étaient effectivement plutôt pas mal, avec beaucoup de sons de chez Hi Records.

Ensuite un que je conseillerais vivement, c’est un cd sorti il y a quelques années, reprenant toutes les productions féminines de James Brown : « Funky Divas » et c’était assez extra. On y retrouvait un de mes morceaux favoris, le déchirant "I Cried" de Tammi Montgomery, qui chantera plus tard avec Marvin Gaye sous le nom de Tammi Terell.

Voyons, à brûle-pourpoint, comme ça… Les compilations deep soul de chez Ace Records, « The Outskirts of Deep City » chez Numero Group, où l’on retrouve des titres de Helene Smith.

Sinon, Gilles Pétard et moi-même avons collaboré sur la collection « Absolute Funk », en cinq volumes. Je la pense assez représentative d’un funk rare, cru et authentique. Il existe aussi une série de trois volumes sur Hi Records. Elle donne une très bonne idée de la qualité du label.

Le premier coffret Stax noir et les intégrales Motown publiées année par année depuis le début des années 2000 sont également essentiels. Il y avait aussi une série de deep soul que j’aimais beaucoup, pas très officielle, « Lost Deep Soul Treasures ». Il faut dire que j’ai une prédilection pour la soul sudiste.

Solomon Burke, Willie Mitchell et Alex Chilton sont décédés cette année, le meilleur moyen de leur rendre hommage étant encore d’écouter leurs chansons, quels albums conseillerez-vous pour ceux qui ne les connaissaient pas ?

De Solomon Burke, vous pouvez écouter toutes ces premières faces pour Atlantic, l’album « Proud Mary » chez Bell, sa période MGM, jusqu’à ses derniers albums, « Don’t Give Up On Me », l’album du grand retour de 2002 et le dernier en collaboration avec Willie Mitchell, « Nothing’s Impossible », qui sera malheureusement leur dernier disque à tous les deux.

J’ai aussi eu la chance de rencontrer Willie Mitchell et je me souviendrais toujours de l’interview qu’il m’avait accordé. Là je vous renvoie à mon livre, « Memphis, aux racines du rock et de la soul », paru en 2006 au Castor Astral, dans lequel je parle pas mal de l’héritage du studio Hi. Je n’ai pas vraiment d’album de Willie à conseiller plus qu’un autre. Peut-être l’album blanc et bleu, « Touch of the Blues » produit pour Bobby ‘Blue’ Bland. Ou ce qu’il a produit pour Al Green, que des classiques, ou les Five Royales, au tout début de sa carrière de producteur.

Alex Chilton c’est différent, c’était un ami très cher. C’est grâce à lui que je suis rentré en pèlerinage soul, lui qui m’a fait découvrir beaucoup de choses en musique noire, notamment ce 45 tours de Marcell Strong, "Mumble In My Ear", peut-être l’un des plus beaux disques de toute l’histoire de la soul. Les trois albums de Big Star sont essentiels. « Like Flies On Sherbert » en 1979 et « Clichés » en 1994 sont aussi deux disques parfaits, quoique très différents. De quel plus bel héritage artistique peut on rêver ?

Alex Chilton m’a communiqué son amour de La Nouvelle-Orléans. Toutes ces ballades près du Mississipi que j’ai pu faire avec lui, ce fut extraordinaire et ce fut une source de révélations assez incroyable. Il m’a ouvert les yeux sur beaucoup de choses : le gospel, Slim Harpo…C’est dur d’en parler, j’ai plein de souvenirs qui reviennent. C’est l’une des figures marquantes du rock.

J’ai rencontré ces trois artistes, mais Alex était de loin la personne avec laquelle j’avais le plus d’affinités.

Vous êtes probablement le spécialiste français de musique africaine. Je viens de découvrir Fela Kuti avec « Zombie » et « Expensive Shit ». Quels autres albums me conseillez vous de lui ? Et quels albums vous paraissent des bonnes portes d’entrée à la musique africaine ?

Je ne sais pas si je suis le spécialiste, en tout cas c’est mon territoire d’exploration privilégié depuis quelques années. De Fela vous pouvez tout prendre, des toutes premières sessions jusqu’au début des 80’s, notamment « International Thief Thief »… Honnêtement tous ses albums sont remarquables. Peut-être aussi “Sorrow, Tears and Blood”, « Opposite People », « Shakara »… De toute façon c’est remarquable du début à la fin.

Sinon, comme bonnes portes d’entrée , il y a les compils Nigeria 70, Mali 70, Congo 70, Sénégal 70, Ghana Soundz (en deux volumes), la compilation « Free Africa » offre un bon panorama en quatre cds. Mais je suis surtout un grand fan de musique malienne, des grands orchestres régionaux des années 1970’s , il y a des choses absolument foudroyantes à redécouvrir. Tout ce que vous pouvez écouter du congolais Franco, écoutez le ! Franco, c’est l’artiste à mon sens le plus prolifique de l’histoire du 20ème siècle. Il a enregistré près de trois mille morceaux ! (Pour situer, James Brown en a enregistré moins de mille). Essayez aussi Manu Dibango, période « Africadelic », c’est très bon !

Il existe diverses compilations fascinantes, comme celle de l’orchestre marxiste Super Mama Djombo de Guinée Bissau ou encore les cinq volumes sur l’Angola parus chez Buda Music. Chez le même éditeur, procurez-vous aussi les vingt-sept volumes de la série éthiopiques, absolument indispensables ! Là encore je vous renvoie à mon livre, « L’épopée de la musique africaine » paru en 2008 chez Hors Collection.

C’est affreux je connais pas un seul de ces noms…

Vous savez, si vous êtes curieux, dans votre parcours, vous en arrivez à toutes ces musiques. Moi mon premier concert, c’était les Beastie Boys à l’âge de douze ans, et ça m’a marqué à vie. J’ai d’abord écouté du hip hop, de la soul, du rock. Puis, depuis quelques années beaucoup de musique africaines. Le tout c’est de rester éveillé et d’avoir envie. Il existe des disques fabuleux qu’on découvre tous les jours, c’est pour cela que je vais en Afrique entre autres, pour dénicher des perles rares. On soupçonne à peine ce qui peut encore exister. Mais si vous voulez vous y mettre, renseignez vous sur Amara Touré, c’est l’une des grandes voix du 20ème siècle. Un jour, si vous voulez, on fera une interview sur la musique africaine. Il faut fouiller, s’intéresser, c’est très intéressant. La musique africaine représente une certaine idée du futur de la musique, tout en proposant un regard saisissant sur le passé.

Vous avez déjà écrit un livre sur Motown, un sur James Brown, un sur Memphis, et là un livre que vous avez pensé comme un almanach sur la soul. J’ai l’impression que cette « Odyssée de la soul » clôture ce que vouliez dire sur ce genre…

Non, pas forcément, j’écoute encore beaucoup de soul. Même si aujourd’hui je suis très souvent en Afrique pour faire des recherches, des interviews...J’ai un projet de livre sur Stax. En ce moment, je termine un livre qui va s’appeler « Afro-pop, l’âge d’or des grands orchestres africains », mais je vais probablement revenir à la soul. Je suis passionné du son de Muscle Shoals, j’aimerais y consacrer un livre. Tout ça pour dire que j’ai plusieurs projets en cours autour de la soul music. Ne vous inquiétez pas, ce n’est pas encore fini ! D’autant qu’il y a énormément de correspondances entre soul et musique afro-pop. La matrice Atlantique me fascine, c’est une voie de transmission (parfois forcée malheureusement) extraordinaire, en ce qui concerne les échanges culturels. Je prépare aussi une compilation sur les morceaux afro latins et comment la musique cubaine a joué un rôle en Afrique tout au long des années 1960 et 1970. J’ai trois livres prévus pour l’an prochain dont notamment un sur l’histoire de la musique malienne. Si vous voulez découvrir cette grande musique malienne, je vous conseille la compilation « Mali 70 ».

Et quand repartez vous en Afrique ?

Dimanche, à Dakar, pour y donner des conférences dans le cadre du 3ème Festival Mondial des Arts Nègres (du 10 au 31 décembre au Sénégal).



Vianney G.

lundi 27 décembre 2010

Coup de gueule audiovisuel...


Il y a dans le vaste univers du paysage audiovisuel français (PAF pour les intimes) des lois aussi dures à comprendre qu’à accepter. La guerre à laquelle se livrent depuis toujours les grandes chaines hertziennes pour grappiller des parts de marché ne pouvait déroger à la règle, et c’est une émission chère à mes oreilles qui en fait les frais, j’ai nommé Taratata.

Une petite présentation s’impose : l’émission, entièrement créée par Nagui, est apparue pour la première fois à l’antenne en 1993, et malgré une interruption de 2000 à 2005, elle peut se vanter de faire désormais partie des rares programmes télévisuels qui bénéficient d’une agréable stabilité. Chaque semaine, Nagui reçoit entre 4 et 8 groupes qui viennent faire leur promotion en jouant quelques morceaux, ponctués d’une interview.

Première particularité (eh oui c’est malheureusement inhabituel aujourd’hui), les prestations scéniques dans Taratata sont 100% live, ce qui devraient d’ailleurs selon moi être systématique pour tout groupe qui se respecte. Mais cela n’est généralement pas de leur ressort : la production des émissions de variété exige en effet la plupart du temps que les groupes jouent en play-back, tellement celles-ci sont aseptisées par une sainte frousse du risque (certains groupes conservent néanmoins leurs principes, parfois à leur manière : ainsi lors d’une émission italienne, les trois membres du groupe Muse ont joué Uprising en play-back, mais en échangeant leurs instruments, donnant lieu ainsi à un moment cocasse lors de l’interview, durant laquelle la présentatrice, particulièrement bien renseignée, interrogea le batteur en pensant s’adresser au chanteur… ).

Je ne saurais dire si cela est directement lié à cette particularité ou à un travail en coulisse de l’équipe de tournage, mais les groupes invités apparaissent plus détendus qu’à l’accoutumée, enclin à se lâcher et à interagir avec le public, ce qui créé une ambiance presque familiale : comme si on se retrouvait entre potes pour un petit jam improvisé (ce qui arrive parfois réellement), mais devant les cameras.

Deuxième particularité : la programmation. Attention, c’est du lourd ! Deep Purple, les Red Hot Chili Peppers, Metallica, Muse, Scorpions, David Bowie, Ben Harper, Oasis, Arctic Monkeys… Tous sont déjà passés à Taratata. Mais là où l’émission se distingue, c’est avec le mélange prôné par la prod. Si chaque émission débute avec une tête d’affiche, elle se poursuit avec des groupes bien moins connus mais tout aussi intéressants. Beaucoup de formations passèrent à Taratata avant d’exploser en France (pour l’anecdote, une semaine avant de se produire au festival « Le Père Noël Est-Il Un Rocker ? », Absynthe Minded était à Taratata pour jouer « Envoi » et « My Heroics, Part One », ainsi que deux reprises, « Le Vent Nous Portera » en duo avec Cali, et le fameux « Amsterdam » de Jacques Brel). Il y a donc de quoi assouvir à la fois l’hystérie des fans en manque de leurs idoles, et la soif de découverte.

Troisième particularité et pas des moindres : pas question de jouer uniquement le dernier single ! Chaque invité est appelé à préparer une reprise, ainsi qu’un duo. Et là encore la prod fait preuve d’originalité, permettant la formation de duos plus qu’improbables. Où est-il possible d’assister à une reprise du « Requiem Pour Un Con » de Gainsbourg par un duo improbable Jacques Higelin/Julia Stone ailleurs qu’à Taratata ? Et le côté inédit de la chose renforce également la bonne humeur ambiante sur le plateau, tant les groupes sont heureux de casser la routine de tournées interminables.

Enfin, quatrième particularité, et c’est là le fond même du problème qui me taraude depuis longtemps et qui me pousse à écrire cet article : la place allouée à Taratata dans la grille des programmes de France Télévisions. A l’heure de l’avènement du poète Patrick Sébastien et où il ne passe pas un samedi soir sans une émission dans laquelle des pseudos stars (merci la Star Academy et autres comédies musicales nauséabondes) viennent reprendre des titres disco usés au possible et choisis parmi une liste inchangée depuis plus de 20 ans et longue de maximum 15 chansons (Emile et Image ça va 5 minutes), Taratata est diffusé sur France 2 le vendredi à 1h10 du matin, et sur France 4 le mercredi soir. Une visibilité selon moi indigne d’un programme de cette qualité, preuve du manque total de volonté des grandes chaines françaises, régies par la loi de l’audimat, pour cultiver un minimum ses téléspectateurs. Et le pire, c’est que cela constitue un véritable cercle vicieux, les français étant de moins en moins aptes à la découverte, ce qui rend de plus en plus improbable l’apparition d’un programme à la fois culturel et plébiscité.

Le paysage audiovisuel français s’enlise donc dans un culte du mauvais goût, du voyeurisme, ou autre perversité à la mode, qui fait le succès de la télé-poubelle omniprésente de nos jours, au détriment de la culture.

Pour les curieux qui auront saisi l’intérêt de ce programme, je vous invite à visiter le site de l’émission, www.mytaratata.com, sur lequel chaque numéro est mis en ligne en intégralité.


Vincent M.

Le top 2010 du Sham

La fin de l’année approche, et avec elle, le moment de faire le point sur l’année musicale écoulée. Il est en effet devenu une tradition pour les sites de critiques musicales d’établir différents classements, notamment des meilleurs albums, des meilleurs morceaux…

Après Rolling Stones, Les Inrocks, Pitchfork, ainsi que de nombreux blogs, c’est au tour du Sham de vous faire part de ses coups de cœur pour l’année écoulée !

Franck :

- Arcade Fire – The Suburbs (→ “Suburban War”)
- Ariel Pink’s Haunted Graffiti – Before Today (→ “Round and Round”)
- CEO – White Magic (→ “Illuminata”)
- Deerhunter – Halcyon Digest (→ “Helicopter”)
- Dum Dum Girls - I Will Be (→ “Jail La La”)
- Fang Island – Fang Island (voir chronique) (→ “Daisy”)
- Hot Chip – One Life Stand (→ “I Feel Better”)
- Local Natives – Gorilla Manor (→ “Airplanes”)
- Male Bonding – Nothing Hurts (→ “Year’s Not Long”)
- Wavves – King of the Beach (→ “Linus Spacehead”)

Lucas :

- The Black Keys – Brothers (→ “Tighten Up”)
- Born Ruffians – Say It (→ “Sole Brother”)
- Carl Barât – Carl Barât (→ “She’s Something”)
- The Coral – Butterfly House (→ “Butterfly House”)
- Darwin Deez – Darwin Deez (→ “Constellation”)
- Foals – Total Life Forever (→ “Spanish Sahara”)
- Jamaica – Jamaica (→ “I Think I Like U 2”)
- Local Natives – Gorilla Manor (→ “Airplanes”)
- MGMT – Congratulations (→ “Flash Delirium”)
- Yeasayer – Odd Blood (→ “Ambling Alp”)

Vianney :

- Airbourne – No Guts No Glory : le meilleur tribute band d’ACDC au monde. Un peu honteux mais franchement rigolo (Born To Kill)
- Arcade Fire – The Suburbs : Moins habité que les deux premiers mais encore sacrément impressionnant (
Suburban War)
- The Black Keys – Brothers : ne serait ce que pour « Tighten Up ».
- The Coral – Butterfly House (voir chronique) (→ “Butterfly House”)
- Gil Scott Heron – I’m New Here : un retour en grâce très digne pour l’ancienne icône de la musique contestataire noire-américaine. (→ “Me and the Devil”)
- Jim Jones Revue – Burning Your House Down : les gars à côté desquels Jerry Lee Lewis parait sain d’esprit. (→ “Princess and the Frog”)
- Local Natives – Gorilla Manor : Découvert en live, des harmonies à la Fleet Foxes, et un chanteur à moustache. Le nouveau son de la Californie ? (→ “Airplanes”)
- Magnetic Fields – Realism (voir chronique). (→ “You Must Be Out of Your Mind”)
- Mgmt – Congratulations : où l’écran de fumée de la hype s’évapore et laisse entrevoir la véritable nature psychédélique du duo de Brooklyn (→ “Flash Delirium”).
- Sharon jones – I Learned the Hard Way (article prochainement). (→ “I Learned the Hard Way”)


Et la déception de l’année, « The Lady Killer » de Cee-Lo, célébré par toute la presse, mais sans imagination et pompier. De la soul-la-croisière-s’amuse. Et dieu sait que j’aime Gnarls Barkley. Pour leur part, The Drums et Two Door Cinema Club assurent la relève de Vampire Weekend dans la catégorie Révélation indé fumeuse de l’année.

Diane :


- Cyndi Lauper – Memphis Blues (→ “Rollin’ And Tumblin’”)
- Depeche Mode – Tour of the Universe: Barcelona (→ “Personal Jesus”)
- Iron Maiden – The Final Frontier (→ “El Dorado”)
- Jamiroquai – Rock Dust Light Star (→ “White Knuckle Ride”)
- Seal – Seal VI Commitment (→ “If I’m Any Closer”)


Le Sham.

Tiens, j’ai déjà entendu ça quelque part…

Entre inspiration et plagiat musical, la frontière est dans certains cas difficile à déterminer. Est-ce que l’artiste a délibérément copié une chanson, ou est-ce seulement le hasard créatif qui a fait que deux morceaux ont fini par se ressembler ?

Certains morceaux ont en revanche trop en commun pour laisser place au doute et nous faire croire à une simple coïncidence. Parfois, c’est volontaire et légal (sample, reprise, hommage) comme Supermode qui avec « Tell Me Why » emprunte à « Smalltown Boy » de Bronski Beat, ou Kid Rock qui avec « All Summer Long » se réapproprie « Sweet Home Alabama » de Lynyrd Skynyrd. Dans d’autres cas, ça l’est beaucoup moins, comme l’attestent les paires de morceaux suivantes.

Nirvana – “Come as You Are”. Sortie en 1992, c’est une des chansons les plus connues du groupe de Kurt Cobain, et pourtant, force est de constater que la ressemblance est frappante avec un titre de Killing Joke, groupe de rock britannique qui sort le single « Eighties » en… 1984 !

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Jaz Coleman, leader de Killing Joke, aurait justement porté plainte contre Nirvana pour plagiat de son morceau. Mais cette action n’a jamais eu de suite pour la simple et bonne raison que le rif de « Eighties » est lui aussi très proche d’une chanson antérieure de The Damned : « Life Goes on ». Ces derniers n’ayant jamais porté plainte, l’incident n’eut finalement pas de conséquences juridiques.

Babyshambles – « Delivery ». Les Babyshambles, c’est le groupe formé par Pete Doherty peu après son éviction des Libertines pour problèmes de drogue. En 2007, le 2ème album de groupe sort, sur lequel on retrouve ce morceau qui sera un gros succès pour le groupe. C’est seulement suite au passage d’un candidat qui nous faisait écouter du Queen que nous avons été frappé par la ressemblance de « Back Chat » avec ce titre des Babyshambles. Le rythme est le même, et on pourrait presque changer les paroles entre « By or by the way of an explanation » et « Back chat back chat you burn all my energy ».

White Stripes – “Seven Nation Army”. Sortie en 2003 sur l’album “Elephant”, et ensuite souvent reprise et adapté, c’est sans conteste la chanson qui a le plus contribué à faire connaître le groupe. Ne soyons pas mauvaise langue, la ressemblance est moins frappante que pour les deux précédentes et on ne peut pas parler de plagiat. Mais quand même, quand on compare "Seven Nation Army" à une chanson des Gories paru en 1995, « You Little Nothing », on ne peut s’empêcher de remarquer des similitudes…

Jet – “Are You Gonna be My girl”. Aucun doute cette fois-ci, le morceau du groupe australien paru en 2003 doit beaucoup au « Lust For Life » de Iggy Pop. En fouinant un peu sur Wikipedia, il semble que la chanson ait aussi été remarqué pour des similarités avec « Screwdriver » (écoutez par exemple à 1 :52) des White Stripes, ou même des chansons paru sur Motown dans les années 60.

George Harrison – « My Sweet Lord ». Avec cette chanson de 1970, l’ex Beatles fut d’ailleurs condamné pour plagiat involontaire du morceau « He’s So Fine » des Chiffons, groupe des années 1960.


Franck A.

vendredi 24 décembre 2010

Christmas Shamrock

mardi 21 décembre 2010

L'évolution musicale, Deez-t-ils...


Darwin Deez


Je suis tombé sur Darwin Deez plus ou moins par hasard (par un ami sur le dernier Nova Tunes avec le titre Constellation, dont l'ambiance planante, les accords de guitare improbables au son rappelant celui des Strokes et la voix atypique et très « saut du lit », du dénommé Darwin Smith (qui semble souvent à la limite du bâillement) m'ont plu dès la première écoute, et m'ont donc incité à aller me renseigner plus avant sur cet énergumène New-yorkais à la coiffure évoquant un Caniche affublé d'un chapeau de rabbin et, plus largement sur le reste de son oeuvre. La dessus j'apprends qu'il est passé par beaucoup de genres musicaux et de groupes avant de sortir cet album éponyme que je m'empresse de télécharger (« le salaud!!! ») légalement, sur Itunes Store, comme tout le monde... J'apprends ensuite qu'il souffre de problèmes d'hyperactivité, de troubles de l'attention, qu'il est également danseur de claquettes à ses heures perdues (rapport???) bref le type un peu excentrique, qu'il fait partie des « révélations » du festival des Inrocks de cet automne. Les soupçons quant à son excentricité et à sa débordante créativité se confirment vite après avoir vu le clip du titre Constellation (dont le passage avec notre chanteur se servant le thé ne sera pas sans rappeler une scène mythique d'Alice au pays des merveilles => « juste une demi tasse pour moi »), d'une bizarrerie assez amusante, il faut bien le reconnaître.

Parlons à présent du reste de l'album : une pop énergique, rythmée, sans fioritures, dans laquelle la voix blasée, presque résolue du chanteur contraste joliment avec l'énergie dégagée par l'accompagnement. Si le son et les effets utilisés par l'accompagnement restent globalement inchangés et assez récurrents sur l'ensemble de l'album, leur caractère novateur, à la fois doux et saturé, fait qu'on ne se lasse pas pour autant.

Agréable surprise, les cinq premiers morceaux sont extrêmement réussis et annoncent un disque prometteur. Constellation, chanson la plus connue et la plus diffusée de l'album, donne le ton de l'album avec un rythme enlevé, une rythmique de guitare électrique omniprésente à la fin de chaque phrase, et un refrain qui laisse pantois, à la fois inquiétant et béat... en fait je pense que le thème principal qu'évoque ce morceau, le seul qui peut à la fois rassembler tous ces contraires, pourrait être le rêve. Un premier titre percutant, novateur et assez représentatif du son et de l'ambiance de l'ensemble de l'album.

Deep Sea Divers, le deuxième morceau, se joue sur une ambiance cette fois nettement plus marquée par l'ennui (du chanteur, certainement pas le nôtre) et la nostalgie.

La chanson The Suicide Song résume elle aussi l'atmosphère sonore antithétique du disque, calquant des paroles pour le moins morbides sur un air pop pourtant résolument énergique, presque euphorique.

J'en arrive maintenant à ce qui est sans doute mon morceau favori de ce premier travail rendu par Darwin Deez : la chanson titre DNA. Elle commence sur un riff de guitare étouffé de notes hamoniques, puis la voix entame timidement le couplet, toujours avec le même air blasé et simplet, puis la batterie s'emballe, et c'est alors que pour le refrain on ne peut qu'apprécier la manière dont le rythme des guitares épouse à la perfection les temps et contretemps prononcés par la batterie (ou peut être la boîte à rythme, à vérifier...), tandis que Darwin Deez entame un air gai, chic et entraînant (formule malheureuse et lourde d'antécédents, j'en conviens...).

La chanson Up In The Clouds (on s'en doute, vu le titre) renoue explicitement avec l'aspect rêveur et insouciant de Constellation, tandis que nostalgie et tristesse sont très présents dans Bed Space, harmonieusement matérialisés par l'écho des choeurs...

J'ai eu beau chercher la bouse cachée dans cet album, celle qui colle et qui est souvent là parce qu'il fallait un dernier titre à l'album, mais rien à faire, pareille hérésie n'est pas à recenser dans ce premier album de Darwin Deez qui, sans avoir une voix exceptionnelle, parvient à produire un son pour le moins agréable et résolument novateur dans une nébuleuse pop toujours infestée ça et là des mêmes innombrables pollueurs sonores, véritables menaces à l'hygiène intellectuelle et au bon goût musical...


Lucas M.

dimanche 14 novembre 2010

Et ... Action !

La légende raconte que lorsque les Action venaient jouer à Brighton, des légions de mods les attendaient en scooters Vespa à l'entrée de la ville et les escortaient à travers les rues jusqu'à la salle de concert, formant une sorte de procession conquérante.
Les Action étaient les favoris avec les Who (première période) et les Creation des mods originels, c'est à dire les plus snobs, les plus puristes, ceux qui écoutaient exclusivement des productions Motown et s'habillaient comme Miles Davis. Les Action avaient leurs quartiers au Marquee, club mythique du Swinging London, où ils ouvraient régulièrement pour les Who. Ceci pour l'anecdote.
Ces adeptes de blue-eye-soul (i.e. de la soul jouée par des blancs), avaient en leur sein une arme fatale, un chanteur blanc brillant, Reggie King, dont la voix onctueuse comme du Nutella (bave) seyait idéalement au genre. Paul weller, chanteur des Jam , dans les notes de pochette de la première réédition vinyle du groupe lui rendait hommage de belle manière: "Si Steve Marriot (ndlr: chanteur des Small faces) est exceptionnel, selon moi reggie King lui est encore supérieur dans la mesure où son chant est toujours naturel. C'est un vrai chanteur de soul." Ajoutons à cela qu'il y a chez lui une limpidité, une douceur presque, absente du registre plus viril d'un James Royal ou d'un Chris Farlowe. C'est d'ailleurs pour ça que pour mon compte, Reggie King est mon favori dans le genre.
Le répertoire des Action était exclusivement noir et témoignait d'un goût très sûr. Tamla Motown, Stax, Atlantic et basta. Mais si on se souvient d'eux, si je prends la peine d'en parler, c'est plus spécifiquement pour deux moments d'éternité, deux morceaux qu'ils n'ont pas écrit; "wasn't it you" d'abord, classique repris par tout le monde de billie davis à petula clarke, dont ils offrent la version ultime. Ensuite et surtout, une relecture de "since i lost my baby", un fleuron des Temptations, qui surpassent l'original, pourtant déjà assez tuant. Cette intro de Rickenbacker, ces coeurs célestes...Le tout produit par George Martin, producteur des Beatles. Le rêve quoi.
Mais nous sommes en 1966, le psychédélisme émerge, ce genre devient obsolète et les Action se disloquent. Quant à Reggie King, il est mort en Octobre dernier, quelque jours avant Solomon Burke ... quelle misère. Et David Guetta lui est toujours vivant.
Vianney G.

mercredi 10 novembre 2010

Gonna take you for a ride on a big jet plane

Un peu de douceur dans ce monde de brutes. Depuis plusieurs mois déjà, le vaste monde des médias spécialisés pop/rock (stations de radio en tête) est touché par une vague de bonne humeur et de zénitude. Cette vague, ce sont deux australiens qui nous l'apportent, deux frère et sœur, j'ai nommé Angus & Julia Stone. C'est d'ailleurs sous ce simple nom qu'ils produisent leurs albums, dont le dernier en date, Down The Way, est sorti en Mars dernier dans la plupart des pays anglophones (Avril en France). Et on peut dire que pour un 2e opus, c'est un franc succès : numéro 1 en Australie, tandis que leur single « Big Jet Plane » est actuellement largement diffusé par les radios françaises. Et autant le dire tout de suite, c'est amplement mérité, tant cet album respire l'authenticité, chose rare en ces temps de mégaconcerts, superproductions et autres groupes à but exclusivement lucratif.

Down The Way s'ouvre sur un crescendo de guitare électrique suivi d'un mélange de piano, de batterie et de violons : « Hold On » donne le ton, l'émotion est là et la voix de Julia est poignante. Une maitrise infaillible des différents instruments, dont un ensemble de cordes, qui révèle un professionnalisme surprenant pour un 2e album. Ce morceau est un paradoxe à lui tout seul : le duo semble tout contrôler à la perfection, alors que la simple vision hors concerts de ces deux phénomènes nous offre inévitablement un spectacle à part entière, tant ils paraissent totalement ailleurs et dépassés par leur succès (mention spéciale pour Angus, dont je vous invite à voir l'interview diffusé dans Taratata, ça vaut le détour !).

Suit ensuite « Black Crow », dans laquelle Angus et sa voix font leur entrée. On peut pour la première fois (et non la dernière) de l'album apprécier l'incroyable complicité des deux frangins, dont les voix se marient parfaitement. C'est incroyable comme ces deux là se complètent (pas étonnant pour des frère et sœur me direz vous). On voit d'ailleurs dans l'interview ci-dessus à quel point un simple regard leur suffit pour communiquer.

Le troisième titre, « For You », est un morceau écrit par Julia pour son ex : dans ce groupe familial, chacun a sa place pour raconter ses propres histoires, renforçant ainsi un peu plus l'authenticité ambiante de l'album. Et vu le résultat, pourquoi s'en priver ? Une intro très minimaliste, le duo ne s'embarrasse pas d'effets superflus : chaque note est à sa place. Ca sent l'enregistrement maison, installé douillettement au milieu du salon. L'album est d'ailleurs auto-produit, tout s'explique.

Après ce passage sentimental, voici LE single qui est l'actuel porte parole d'Angus et Julia en France : « Big Jet Plane ». Une fois de plus, c'est l'équilibre parfait entre les différents éléments, voix et instruments, qui ressort. Les paroles semblent nous prévenir du voyage à part entière que constitue l'album (« Gonna take you away from home »).

Les deux titres suivants, « Santa Monica Dream » et « Yellow Brick Road », mettent en avant la capacité du duo à faire beaucoup avec pas grand chose : une unique guitare accompagnant leurs deux voix et un résultat toujours aussi attachant. Dans la deuxième partie du long « Yellow Brick Road », on constate que quand la guitare devient électrique, c'est une autre ambiance qui se dégage mais qui reste tout aussi plaisante.

Le septième morceau est encore un tube. « And The Boys » est beaucoup moins acoustique que le reste de l'album, et présente même pour la première fois quelques passages de synthétiseur. La preuve que malgré leur goût pour l'acoustique, les Stone sont tout à fait capables de se produire au sein d'un groupe complet. Et cette idée est fortement renforcée par le titre suivant, « On The Road », intro au banjo avant l'entrée de la batterie et de la guitare, qui nous emmène dans une direction relativement différente de celle de la première partie de l'album : le morceau est plus entrainant, et le duo s'éloigne de son style habituel pour s'aventurer vers une Country plus joyeuse.

« Walk It Off » signe le retour des violons, toujours aussi bien gérés, qui donnent de l'ampleur et de l'énergie à cette balade, même si la fin montre à quel point la voix de Julia peut seule prendre l'auditeur aux tripes. Un groupe résolument pop/folk, parfois légèrement country : il ne manquait plus que l'harmonica. L'affront est lavé avec « Hush », et si cet instrument peut à mon sens rapidement devenir agaçant, les deux frangins savent en faire usage avec parcimonie, ce qui est tout à leur honneur.

L'album se poursuit sans surprises avec « Draw Your Swords » et « I'm Not Yours » : pas de folies, Angus et Julia font ce qu'ils savent faire mais le font bien. On sent qu'ils se sont construit un style, certes pas vraiment nouveau, mais qui leur correspond parfaitement. Il est vrai qu'un duo pop/folk essentiellement acoustique, qui compose des ballades sentimentales souvent autobiographiques, ce n'est pas vraiment une invention. Mais c'est exactement ce qu'il leur fallait, et la sincérité que mettent les Stone dans leur musique est l'élément clé qui les place aujourd'hui en tête des ventes.

Notons que la fin de « Draw Your Swords » présente un moment rare : Angus s'énerve ! Mais là encore, ça lui va bien.

L'album s'achève sur le touchant « The Devil's Tears », qui nous laisse sur une impression qui résume parfaitement l'album : de l'émotion, du romantisme, parfois la sensation d'être coupé du monde, mais avant tout un sentiment d'apaisement, de plénitude. Cette album est finalement une véritable thérapie pour le duo et pour l'auditeur. Une façon d'extérioriser toutes leurs émotions profondes, et de décrire des moments de leur vie qui leurs tiennent à cœur. Pour l'auditeur, c'est un moment particulièrement agréable à passer, un moyen de s'évader sans quitter son chez-soi.

Pour ceux qui seraient tentés par le voyage, Angus & Julia Stone seront le 2 Décembre prochain à l'Aeronef pour un concert qui s'annonce des plus envoûtants !

Vincent M.

Fang Island, Fang Island (2010 )

Le 11 mars dernier, le procès opposant Pink Floyd à EMI touchait à sa fin. La formation britannique reprochait à la major de permettre le téléchargement de ses titres à l’unité, alors qu’elle envisageait ses albums comme des ensembles cohérents dont la profondeur ne pouvait être appréhendée par ce mode de distribution.

Cette leçon, le groupe américain Fang Island semble l'avoir bien assimilée. A travers leur premier opus, la formation indépendante fait en effet preuve d’une maturité musicale déroutante malgré leur jeune âge (débuts en 2005). Les mélodies se complètent et dansent éperdument jusqu’à trouver un écho l’une dans l’autre. Des rires moqueurs résonnent tandis qu’on cherche à en percer le mystère. Et alors qu’on pense les avoir apprivoisées, elles nous dévoilent malicieusement un nouveau secret, un nouveau souvenir, un nouveau rêve.

Tout commence avec « Dream of dreams », qui sonne paradoxalement comme la fin d’une époque. Les feux d’artifices allègres laissent bientôt place à des harmonies de guitare qui se combinent en un chuchotement désenchanté. Et c’est seulement quand leur complainte atteint son paroxysme que le chœur formé par les 5 membres du groupe daigne faire une brève apparition. Guitares et batterie font alors leur retour et, sans s’en apercevoir, on est passé au morceau suivant, « Carefull Crossers », fête d’adieu instrumentale qui se veut plus rassurante.

La chute n’en est que plus dure quand retentit à nouveau le chœur pour la poignante « Daisy ». L’excitation à l’idée d’une nouvelle ère est teintée d’amertume et d’une nostalgie déchirante pour les joies d’un passé révolu. Dans « Life Coach », voix et instruments se joignent pour une ode à la vie et à la renaissance proche. Un rythme plus rapide engage « Sideswiper » comme si on nous pressait de tout oublier pour ne pas souffrir, et puis, subitement, tout se ralentit comme pour nous autoriser un dernier regard en arrière. Avec « The Illinois », des guitares obsédantes et des brusques changements de rythmes nous offrent un nouveau départ.

Et subitement, tout s’éclaircit. On perçoit de la joie dans le chant à présent décomplexé de « Treeton » et les paroles sont porteuses de plus d’espoir : « Let our dreams grow out together ». Là-dessus arrive « Davey Crockett », long morceau qui renoue avec cette mélancolie qu’on croyait éteinte et qui nous laisse confus. « Dorian », final de l’album, tente d’apporter une réponse à ces doutes avec un air qui évoque un mariage, le début d’une aventure. On a peut-être fait le bon choix. C’est en tout cas ce dont on se convainc quand des feux d’artifice viennent conclure le morceau.

Seul défaut de l’album, il est un peu lassant sur la durée, et on regrettera par exemple qu’il n’y ait pas un deuxième « Daisy » pour lui insuffler une nouvelle vie. Mais c’est un détail dont on ne saurait leur tenir rigueur après seulement 5 ans d’existence. Avec ses mélodies aériennes façon Wild Nothing et ses atmosphères à la Animal Collective, Fang Island signe en effet une première réalisation ambitieuse qui laisse augurer du meilleur pour l’avenir.


Franck A.