jeudi 3 février 2011

Micah P. Hinson : Gospel, Orchestre et Saboteurs

L’habit ne fait pas le moine, c’est bien connu. Et Micah P. Hinson ne déroge pas à la règle : en écoutant sa musique, on s’attendrait presque à voir débouler sur scène un ex-tolard aviné, au corps massif et au visage abimé par cinquante ans de vie pénible. Au lieu de cela, c’est un maigrichon à lunettes d’à peine 30 ans, chemise à carreau, jean et baskets, qui vient, armé de sa guitare, présenter une musique chargée d’une émotion poignante, et d’une profondeur digne de Johnny Cash.

Un rapide retour sur son passé permet de comprendre d’où vient la surprenante puissance que dégage ce type : la vie pénible, Micah l’a bel et bien vécu. Porte monnaie vide, passage par la case SDF, toxicomanie notoire, prison, tout est là pour donner naissance à un esprit torturé à souhait et apte à composer autre chose que la daube superficielle à la mode en ce 21ème siècle. Parce qu’on l’oublie aisément, tant sa musique rappelle de grands noms défunts du blues et de la folk, mais Micah P. Hinson est bien un artiste des années 2000.


Tout commence ainsi en 2004 avec la sortie de son premier album, « Micah P. Hinson And The Gospel Of Progress », véritable promesse d’un talent prêt à s’exprimer. Dès les premières notes (« Yourself Asleep Again »), on sent le génie qui sommeille. Pas d’artifice particulier, juste un constat : incroyable l’émotion qui peut émaner de ce gringalet ! S’il s’agit la plupart du temps de morceaux sombres et relativement calmes, il montre qu’il sait aussi « s’énerver », comme dans « On My Way », où une fois n’est pas coutume, il est accompagné d’une batterie très énergique. La guitare est simplissime, un piano et quelques cordes viennent donner un peu densité à l’ensemble. C’est à la voix que revient le mérite d’élever ce premier album au rang de prouesse. Hinson n’a pas une voix particulièrement magnifique, mais la quantité d’émotions qu’il véhicule dès qu’il ouvre la bouche est juste bluffante. Le dernier morceau de l’album en est d’ailleurs l’exemple parfait (« The Day Texas Sank To The Bottom Of The Sea »). Finir un premier album là-dessus, c’est s’assurer le succès du deuxième, tellement on est avide de replonger dans un univers comme celui de Micah ! C’est d’ailleurs en partie grâce à ce morceau qu’il s’est immédiatement attiré les faveurs de critiques comme les Inrocks, entre autres.


Le deuxième album (traditionnellement considéré comme celui de la confirmation), arrive donc en 2006, et s’intitule « Micah P. Hinson And The Opera Circuit ». Le doute se dissipe : les ingrédients sont les mêmes, toujours aussi efficaces, et une fois de plus on se trouve transporté dès les premières notes (« Seems Almost Impossible »). Micah se fend même d’un titre plus festif qu’à l’accoutumée, tout à fait réussi (« Diggin A Grave », notez que le titre, lui, reste dans le thème habituel).

Sortiront ensuite « Micah P. Hinson And The Red Empire Orchestra » en 2008, et « All Dressed Up And Smelling Of Strangers » en 2009 : le premier est dans la continuité de ce que Hinson fait de mieux (je vous recommande « When We Embraced », « You Will Find Me », ou encore « Dyin’ Alone »), tandis que le 2ème est un recueil de reprises, qui permet de découvrir ses diverses influences. On peut y trouver, en toute logique, du Bob Dylan (« The Times They Are A Changin’ »), le « My Way » de Franck Sinatra (qui, rappelons le, n’est qu’une adaptation de « Comme D’habitude » de Claude François), le fameux « While My Guitar Gently Weeps » de Georges Harrison, ou encore du Leonard Cohen (« Suzanne ») et du Elvis Presley (« Are You Lonesome Tonight ? »).


Tout est donc là pour planter le décor de l’univers de Micah P. Hinson, et c’est donc après nous avoir permis de faire sa connaissance au fil des albums qu’il nous pond en 2010 « Micah P. Hinson And The Pioneer Saboteurs », un opus tout frais mais sans surprise. En effet, si la forme varie aléatoirement au gré de l’avancement de sa jeune carrière, le fond reste inlassablement le même. Mais c’est justement ce qui constitue l’identité même de sa musique : la gravité et la noirceur de ses compositions lui correspondent parfaitement, et on ne peut que saluer sa volonté à garder celles-ci intactes. Remarquez que dans sa démarche de recherche d’authenticité, Hinson change de musiciens à chaque nouvel album (comme en témoignent les titres de ceux-ci), s’assurant ainsi un contrôle total de sa musique. On obtient donc des titres toujours aussi poignants, du mélancolique et instrumental « A Call To Arms » à l’angoissant « The Returning » en passant par le chamanique « The Striking Before The Storm ».


En bref, un artiste envoutant qui constitue un véritable anachronisme, tant on a perdu l’habitude des artistes authentiques capables d’électriser une salle en ouvrant simplement la bouche. A ne pas rater dès qu’il sera de passage en France !


Vincent M.

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