dimanche 7 novembre 2010

Supergrass tire le rideau














Écoutez ça et lisez le reste du post. Je sais qu'il est long, je vais faire un effort pour les prochaines fois.


C'est drôle la manière dont certaines nouvelles passent comme une lettre à la poste ; pourtant avec la dissolution impromptue de Supergrass, on perd là l'un des 4 ou 5 groupes les plus brillants des années 90 et 2000. Supergrass, c'étaient un peu les Kinks des années Blair, le groupe parfait qui n'a pas eu autant que ce qu'il méritait. Lâchés par leur maison de disques récemment, devant depuis pas mal de temps se contenter des premières parties des boy-scouts puants de Coldplay, l'affaire sentait le sapin. Mais l'annonce de leur séparation, après 18 ans d'une carrière ponctuée de 6 albums tous irréprochables, a pris tout le monde de court ; on annonçait en effet un album, Release the drones, et Gaz Combes (le chanteur) et Danny Goffey (le batteur) venait de publier en juin un recueil de reprises sous le nom de the Hot Rats (patronyme hommage à Zappa on imagine), bien fait d'ailleurs mais un peu vain comme souvent avec ce genre d'exercice (si ce n'est peut être le Kicking against the pricks de Nick Cave).

Évoquant cette rupture impromptue, beaucoup ont souligné qu'il valait mieux qu'ils se séparent avant de commettre l'album de trop. Ben moi, personnellement, j'aurais aimé le voir, bon ou mauvais. Un ou deux albums faibles avant de se séparer, comme les Clash ou Roxy (ou 15 comme les Kinks), ça rassure, ça officialise, ça prépare à une rupture sereine, en souplesse, sans fausse espérance et sans regrets. Alors que là les trois pieds nickelés (qui étaient 4 depuis que Robert, le frère de Gaz, les avait rejoints en 1997) se séparent un peu comme des malpropres. Retraçons leur parcours.

Supergrass est issu d'Oxford comme les pleureuses de Radiohead, c'est heureusement là leur seul point commun. C'est en 1995 qu'ils débarquent avec fracas dans le poulailler britpop avec I should coco (déjà le titre...), bourré de singles supersoniques géniaux: "Caught by the fuzz", "Lose it", "Mansize rooster", et le suprêmement couillon "Alright", mettant alors tout le monde à genoux. Sur la foi de ce tube (leur seul véritable) se fondera malheureusement un malentendu essentiel, celui qui consiste à voir en Supergrass une bande de sympathiques trublions inoffensifs alors que, on le répète, ils ont enregistré certains des plus durables moments de rock de ces trentes dernières années. C'est triste de constater qu'il faille se mortifier pour pouvoir être crédible.

Supergrass avait pourtant sans même sûrement le savoir tout compris à ce que devait être la pop : une musique référencée sans être cuistre et (et c'est là la difficulté) moderne. Ce trio de gentlemen avait tout ce qu'il fallait pour cela : l'énergie, de la fraicheur, une insolente facilité. En un mot : du talent. Auquel il faut ajouter une bonne dose de charisme canaille ; il faut voir Gaz Combes en live, le regard madré de celui qui sait qu'il plait, le sourire carnassier, beau comme un Mick Jagger de 1966, malgré une gueule pas possible, quelque part entre le reptile et le rongeur. Mi-campagnol mi-crocodile. Le batteur est pas mal non plus dans son genre, l'œil invariablement hagard, la lippe pendante, l'air ahuri, frappant sur ses fûts avec de grands moulinets outranciers. A cette époque, ils sont les nouveaux héros de l'Angleterre.

Pourtant après ce premier album éminemment buzzcockien (i.e. on joue vite et on tape fort), une scission s'opère avec le public lors de la sortie d'In it for the money, qui y voit le signe d'un essoufflement de l'ardeur juvénile des gaillards (alors qu'il est juste moins speedy gonzales que le premier) et est également désarçonné par la noirceur (un bien grand mot tout de même) inédite de certains titres ("Richard 3", "In it for the money"), même si les ventes sont encore tout à fait respectables.


J'ai des réserves face au mythe de "l'injustement méconnu" ou de "il'nsuffisamment reconnu", même si bon an, mal an, j'y souscris ; Supergrass entre dans la deuxième catégorie. Ne falsifions pas, Supergrass a eu son heure de gloire. Un million de singles vendus pour "Alright" tout de même. Mais la désaffection (d'une grosse partie de son audience, de la critique qui ne s'y intéressait plus qu'avec l'indifférence polie qu'on réserve aux anciens) dès "In it for the money" a été tout aussi rapide et inexplicable. Car les quatre albums qui suivront seront tout aussi réussis. Du plus contemplatif Road to rouen au psyché Life on other planets et jusqu'au retour au rock brindezingue de leurs débuts que constitue Diamond hoo ha, jamais Supergrass n'aura connu la moindre baisse de régime, avançant avec une constance exemplaire. Il faut écouter "Moving" et sa partie disco rebondissante pour se rendre compte que ces gens là assuraient à mort. Il faut écouter "Mary", morceau faramineux plein de méchant larsen, morceau de train fantôme. Il faut la perfection pop de "St petersburg", qui a du laisser sur le cul ceux qui en étaient restés à "Mansize rooster" . "Seen the light" du T-rex meilleur que du T-rex. Et "Sad girl" ? Et "Diamond hoo ha men" ? Et "Can't get up" ? Et "Bad blood" ? Et "What went wrong with your head" ? Que de l'excellent, on vous dit !


Les trois de Supergrass n'auront pas la présence d'esprit de se droguer, ce qui leur aurait conféré une vague aura subversive (façon Peter Doherty, que je ne vénère pas mais qui m'amuse et qui a des coups de génie épisodiques comme ici) et qui aurait peut être endigué leur déclin commercial. Juste une réflexion qui m'est venue récemment : je comprends très bien que les rock stars soient moins inconséquentes qu'il y a trente ou quarante ans (ne pas s'étonner si j'affirme le contraire dans un post prochain). Je comprends très bien qu'on refuse de jouer dans le cirque rock'n'roll un rôle qui fût joué par d'autres, et qui avait du sens à l'époque mais qui est devenu aussi codifié que ce à quoi il s'opposait au départ (ça se passe malheureusement souvent comme ça).

Il fût un temps où moi même je me bourrais scrupuleusement la gueule dans une frénésie d'hédonisme rageur, non pas par goût (ou pas que par goût), mais pour correspondre à je ne sais quelle éthique de vie. J'ai dû finir cinq fois chez les flics, à peu près autant de fois dans la rue (ça fait des histoires pour les petits enfants) et maintenant, il y a des jours où me miner me parait une véritable corvée (ce qui est sûrement le signe d'une certaine santé mentale, mais ça me déprime un peu, pour tout dire). Maintenant je me bourre la gueule parce que je ne sais pas boire (n'ais jamais trop su), sans faire exprès. Notez que quand vous vous retrouvez dans un appartement de 30m² rempli à craquer, où vous ne connaissez pas la moitié des personnes présentes, et eussiez vous envie de leur parler, vous ne pourriez pas car Wax Taylor ou je ne sais quelle autre boue électro mise à plein volume vous en empêcherait, la seule chose sensée à faire est de s'anesthésier un bon coup.

Mais les Supergrass ne sont pas comme ça. Il y avait chez eux une intégrité et une méfiance épidermique pour tout ce qui relevait de la promotion qui forçait le respect. Dans une interview (exercice qu'il détestait) de 2005, Gaz Combes déclare, aux anges : " Je n'ai jamais parlé de moi, personne ne sait ce qu'est ma vie". T'as eu bien raison gros père.

Voilà, j'ai fini, allez donc télécharger leurs albums (je vais pas vous dire de les acheter, j'aurai l'air idiot). Je n'en ai pas un à recommander plus que les autres même si j'ai un petit faible pour le troisième.
Ah et j'ai loupé leur dernier concert à la Cigale, voilà c'est sûr, je ne verrai jamais Supergrass en vrai, ils ne m'ont pas attendu. Avec ce concert parait-il génial pour tous ceux qui ont eu la chance d'y assister, le groupe achève en tous cas sa carrière comme il l'a menée ; avec classe.

Vianney G.

1 commentaire:

  1. Super post jusqu'au lien avec les Kinks, le groupe génial dont on aime la musique mais duquel on ne s'entiche pas. Peut-être que "Supergrass", tout comme les "Kinks" ont manqué de prétention et d'arrogance.
    Un clignement de paupières de Thom Yorke suffit à le faire passer pour un génie.

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