samedi 6 novembre 2010

The Fall, This Nation's Saving Grace (1985)

Vous ne connaissez probablement pas The Fall, groupe formé en 1976. Rien de surprenant puisque Mark Edward Smith, chanteur et seul membre constant du groupe, n’a rien d’un leader charismatique. Cinquantenaire misanthrope et alcoolique notoire, il est connu pour son franc-parler et des altercations récurrentes avec ses musiciens. Doté d’un humour noir corrosif, moqueur et antipathique, c’est le genre de personnage qu’on ne peut pourtant pas s’empêcher d’apprécier.

Est-ce que cela tient à sa longévité (35 ans de carrière dans une formation toujours changeante), à son envie intacte (une trentaine d’albums studio) ou à ce ton rageur qui vous fait tressaillir quand il chante ? Sans soute un peu des trois. Toujours est-il que le bonhomme a produit quelques merveilles sans âge, qui ont inspiré des pointures telles que Sonic Youth, Pavement ou Nirvana.

On pourrait continuer à parler de l’individu pendant des heures, évoquer son aversion pour le foot ou pour l’orgueil français, mais concentrons-nous plutôt sur This Nation’s Saving Grace, bijou intemporel encensé par la critique comme par le public à sa sortie en 1985.

Les festivités commencent avec « Mansion », morceau instrumental hanté par une mélodie inquiétante et lugubre qui vous fait frémir d’une excitation contenue. Arrive alors « Bombast » qui, s’il nous laisse un peu sur notre faim, n’en témoigne pas moins de la hargne du chanteur tandis qu’il s’écrie « Bastard! Idiot! Feel the wrath of my bombast! ». La machine est lancée, et tout le génie du groupe se révèle à travers l’excellent « Barmy », sa fougue irrésistible et son riff d’une prodigieuse simplicité. Sur « What You Need », les guitares entêtantes voire répétitives (sans que cela soit jamais un défaut) résonnent comme si elles voulaient ancrer le morceau à jamais dans notre esprit.
C’est d’ailleurs ce qui se passe avec « Spoilt Victorian Child », au rythme tantôt calme tantôt explosif, et aux paroles martelées sans répit. « L.A »., autre pépite de cet album, nous replonge dans l’atmosphère inquiétante de « Mansion », tandis que les cris lancinants du chanteur n’en finissent pas de nous transpercer. Une voix féminine introduit alors doucement « Vixen », et se mêle ensuite à celle du chanteur pour un morceau terriblement bon.

A ce stade de l’album, l’alchimie a déjà parfaitement opéré et les refrains se bousculent dans notre tête. Mais le groupe n’en a pas fini et les réjouissances reprennent avec « Couldn’t Get Ahead », morceau puissant aux paroles crachées avec violence, bientôt suivi par le plus faible, « Gut of the quantifier ». Un air plus tranquille mais teinté d’un certain malaise introduit « My New House », avant que très vite, tout s’emballe et qu’on soit pris d’une envie irrésistible de chanter en rythme les paroles. « Paint Work » prouve la capacité de la formation à explorer un autre registre : une sérénité empreinte de nostalgie, une quiétude languissante et reposante. « I am Damo Suzuki » est un hommage réussi au groupe de rock expérimental Can, dont Damo Suzuki était membre.

L’album se termine en apothéose avec « To Nkroachment: Yarbles », un « Mansion » avec une tension encore accrue par la voix de Mark E Smith. Bien qu’absents dans la première édition de l’album, n’omettons pas trois autres excellents morceaux qui furent ajoutés par la suite : l’hypnotisant « Pretty (Thief) Lout », le très dansant et un peu rétro « Rollin’ Dany » et enfin l’explosif et très connu « Cruiser’s Creek ».

This Nation’s Saving Grace donne un aperçu du talent immense de The Fall. Mais le génie de son leader ne saurait s’y résumer, des morceaux comme « Janet, Johnny and James » ou « Mr. Pharmacist » en attestent. Tout au long de sa carrière, Mark E Smith n’a cessé d’explorer de nouveaux horizons musicaux pour faire évoluer son style. Seul l’homme n’a pas changé : il est toujours ce râleur invétéré doté d’une langue incisive.

La preuve en fut faite pas plus tard que le 21 octobre dernier, quand il entendit chanter les Mumford & Sons et les qualifia de chanteurs de folk retardés, avant de leur balancer des bouteilles pour les faire taire…


Franck A.

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