mercredi 23 mars 2011

Anna Calvi : Believe the Hype

Anna Calvi, c’est rien de dire que la presse musicale en a énormément parlé. Complète inconnue il y a encore peu, les choses se sont précipitées vertigineusement pour elle ces dernières semaines : Sortie d’un LP avec reprise habitée de « Jezebel » (en écoute sur Deezer), signature chez le label Domino (celui des Monkeys), premières parties de Nick Cave, et donc aujourd’hui ce premier album intitulé « Anna Calvi » (pourquoi s’emmerder ?) qui lui vaut les couvertures de tout ce qui existe en canards musicals des deux côtés de la Manche. Le vieux Brian Eno allait même jusqu’à dire qu’il n’avait pas vu ça depuis Patti Smith (en même temps l’avis de Brian Eno…). On évoque également à son sujet PJ Harvey (suis en train de réécouter « come on billy », un sacré morceau), Siouxsie…Y a plus qu’à citer Janis et Grace Slick et on aura tout le monde. Alors bien sûr sous prétexte que tout le monde lui tresse des lauriers, pointent déjà à l’horizon quelques idiots qui vous annoncent, tout fiers, qu’ils ne sont pas dupes de ce qu’« on essaie de nous refiler ». Qui ça, « on » ? Ben Laden ? Les Suisses ? Le KGB ?

C’est assez drôle de voir l’arbitraire de cette fiction auto-alimentée qu’est la Hype, qui après avoir élu de jeunes geeks fans de psychédélisme anglais (MGMT), des croquemorts (the XX), des roux (les nullards de Two Door Cinema Club), des faux bardes (l’affreux Anthony la pleureuse and the Johnson) a choisi cette fois de jeter son dévolu sur cette jeune anglaise de 22 ans, dont chacun salue l’incandescence sur scène : Comme les gars d’Arcade Fire, elle joue sérieuse comme un pape, coiffée d’un strict chignon de rat d’opéra, sourcils froncés, mine contrite, pas encore tout à fait assurée probablement. On voit ce qui est derrière, ce qu’elle vise : l’attraction distante, la séduction glacée, comme Bowie pendant sa période « young americans ». Toute cette unanimité derrière elle, cette Hype, mot puant dénué de sens (Qu’est ce que la Hype sinon l’enthousiasme synchrone pour un gars qui a priori sort du lot) va offrir à quelque uns, on le sait déjà, le prétexte de jugements à l’emporte-pièce alors qu’on devrait aborder toute première œuvre avec une bienveillance relativement dépassionnée , et faire cet effort surhumain de parler en connaissance de cause. La méfiance suscitée par la hype est d’autant plus injuste, qu’il est plus dur de créer de l’inédit aujourd’hui. De quoi partait les Beatles lorsqu’ils jouaient « she loves you » ? Pas grand-chose, tout était à inventer. Faut quand même bien voir que tout jeune artiste qui commence aujourd’hui a 60 ans de rock derrière lui, qu’il doit se coltiner, et à l’aune desquels il va être jugé . Et contrairement à l‘aspirant écrivain qui lui peut attendre (et qui devrait attendre, ça éviterait que tant de nullards soient publiés. Ca sert à ça la lecture des génies : inspirer les futurs génies et et inhiber les autres : malheureusement les mauvais écrivains sont trop inconscients et ont trop peu d’ambition pour avoir des doutes sur ce qu’ils écrivent ; il n’y a que les génies qui doutent), il doit le faire à 25 ans, le rock ne pouvant se concevoir que dans la fulgurance : Pete Townshend eût-il écrit « Hope i die before i get old » à 45 ans, il aurait eu l’air bien bête, c’est sûr.

Pour en revenir à Anna Calvi, la comparaison avec Buckley saute aux oreilles (oui je le sais bien que c’est réducteur d’étiqueter les gens, si je sors quelques références, c’est pour donner quelques jalons, quitte à rendre le truc un peu trop identifiable. Parce qu’on vient tous de quelque part, ne serait-ce que pour s’en éloigner). On retrouve effectivement le son de guitare, liquide et fantomatique, plein d’écho caractéristique de chez Buckley fils, sauf qu’heureusement Anna Calvi, elle, n’est pas une chouineuse (regardez là en interview : elle ne dit RIEN de vaguement personnel. Je trouve ça admirable). Juste en passant, je suis retombé en écrivant sur une interview assez édifiante du sieur Buckley. Attention c’est du lourd : « Moi, je dois bien l'admettre, je suis religieux. Mais je n'arrive pas à croire à l'organisation terrestre faite au nom de Dieu. Les prêtres, tous ces prétendus représentants, ce sont des trucs pour malades mentaux. Alors, comme ça, Dieu serait là pour punir, encore et toujours, mais jamais pour récompenser ? Un père, mais pas de mère. Aucune femme dans la sainte Trinité... Quelle erreur monumentale ! C'est effroyable de constater que la seule femme sans reproches dans la Bible soit Marie, qui n'a jamais baisé de sa vie. Elle a fait un bébé avec son oreille. Non mais franchement, quelle connerie ! Je ne suivrai jamais de ma vie le moindre conseil important émanant de quelqu'un qui n'a jamais baisé et qui, en plus, en est fier. Le pape, quelle insulte au sexe, quelle insulte aux femmes ! Toutes nos religions sont en faveur des hommes, elles me dégoûtent. Pas étonnant qu'on traite la terre avec le même mépris : on la viole, on la détruit, on ne tient pas compte de son avis. Tout cela est très perturbant. Je suis un garçon très perturbé…» 2000 ans de théologie récusée PAF !! Non mais c’est vrai quels cons ces chrétiens !! Jaspers, Pascal, Erasme, Bernanos ? Des trous du cul !! la transcendance quelle blague !! Ah et Marie a fait un bébé avec son OREILLE !!?? HEU JE NE PENSE PAS NON TROU DUC !! Une bêtise pareille ça tient du prodige. L’imbécile aura aussi réussi cette performance notable de mourir plus jeune que son père (il s’est suicidé parce qu’il était mal dans sa peau le pauvre chéri). J’en reste là, tout le monde aura compris à quel point le pauvre garçon était bien bête.

Le risque numéro un lorsqu’on veut donner dans le lyrique, c’est l’emphase, l’ampoule, la pompe, en un mot le rock-kougloff (type les idiots de Muse). Une telle musique encourt plus surement le piège du ridicule mais c’est noble de s’exposer ainsi à vif, de ne pas avoir peur de ne pas faire dans le demi-mesure. Et en l’occurrence Calvi le fait bien. La production est peut être un poil lissée et clinquante à mon goût mais ça va, on s’en accomode. Aux moins deux grandes chansons ressortent : d’abord ce « First we kiss », bizarre et tendre, et surtout « love won’t be leaving », un classique d’ores et déjà. L’intro en cavalcades de guitares, les couplets sussurrés, Le refrain (« cause loooove won’t be leaving !!!) le final, tout est grandiose. Les chœurs du Bolchoi à trois, rien de moins. Qu’on trouve le reste trop vélléitaire je peux le comprendre, mais ces deux chansons là, il fallait les écrire. Suis-je totalement conquis ? Non pas tout à fait, je suis resté relativement hermétique à certaines chansons (« morning light »), malgré le fait qu’elle se donne sans réserve. Peut être ce « lyrisme cérébral » de sa musique vitrifie un peu l’émotion, je ne sais pas trop. En tout cas, l’album reste très impressionnant, et on peut affirmer en étant quasi sûr de ne pas se tromper que cette fille n’est pas un feu de paille. Un peu moins de manières, plus de hargne et de méchanceté pour la suite et ça va devenir une tueuse.


Vianney G.

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